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Titouan Lamazou : "L'important c'est la préparation du voyage"

Titouan Lamazou consacre ses "Carnets de voyages" aux femmes du monde entier. Retour sur les vies antérieures du navigateur-dessinateur.

Affable, un brin provocateur, Titouan Lamazou est un amoureux transi du voyage. Né en 1955 à Casablanca, il a d'abord connu une vie de marin. Vainqueur du premier Vendée Globe Challenge, en 1987, il entreprend la construction du plus grand monocoque de course au monde. Le bateau fait naufrage en mer Adriatique à la veille de sa première transatlantique.

Titouan Lamazou, quelques années après ses cours aux Beaux-Arts, se consacre alors pleinement à son nouveau "métier": des dessins, des aquarelles, des annotations, ses carnets de voyages témoignent d'un réel talent pour la capture des regards, des visages, des couleurs.

Dans son ouvrage sur Tombouctou, il dessinait en surimpression sur des photos de Raymond Depardon. Il est ensuite parti à la rencontre des artistes oubliés de Kinshasa. Son projet suivant : appréhender la vie des femmes du monde et la dessiner. Il s'est livré pour nous à une critique sans complaisance du voyage des temps modernes.

 

Votre manière de voyager laisse-t-elle place à l'improvisation?


Titouan Lamazou
: Oui et non. Je me renseigne énormément sur tel ou tel pays avant d'y aller. Je lis le plus de livres possibles sur ce pays, y compris les guides… surtout pour ne pas suivre les mêmes itinéraires que ceux qu'ils vous recommandent. Sur Kinshasa, c'est pratique: il n'y a pas de guides… Une fois sur place, je passe en général les trois premières semaines à ne rien faire, à observer.

On peut associer cela à une sorte de repérage. En général, je reviens avec un sujet tout autre de celui que j'avais choisi au départ. Comme l'écrivait Nicolas Bouvier, l'un des plus grands auteurs de voyage, on ne ramène jamais d'un grand voyage ce qu'on était parti chercher. De Kinshasa, au bout du compte, je ne sais pas vraiment ce que je vais ramener.

Quelle est votre conception du voyage?


Titouan Lamazou
: La préparation du voyage est pour moi très importante. Les premières rencontres sont d'ailleurs liées à cette préparation. J'aime bien organiser moi-même mon voyage. Réserver un hôtel, c'est déjà entrer en contact avec les gens. Dans le voyage, son implication est toujours récompensé. Il faut donc s'employer à mériter le bénéfice d'un voyage. Et quand l'on organise son voyage, on ne peut s'en prendre qu'à soi-même si celui-ci n'est pas conforme à ses espérances.

Quel est votre regard sur le tourisme de masse?


Titouan Lamazou
: Je n'ai rien contre le tourisme de masse. Je pars de temps en temps en vacances. Le problème, c'est que beaucoup de gens n'ont pas envie de voyager. Ils se sentent obligés de partir, même si ce n'est pas leur truc. Il ferait mieux d'organiser leur loisir autour de leur hobby. Sur le voyage tel qu'il s'est développé aujourd'hui, dans notre civilisation des loisirs, c'est d'après moi un marché qui profite à une poignée de gens, en général de gros intérêts en Occident. Peu de gens font des voyages vraiment intéressants, tels que des trekkings facilitant les rencontres. On vend surtout des voyages clé en main.

Les clubs de vacances ont au moins le mérite d'annoncer la couleur. Tu te retrouves dans un espace fermé et tu y vas avant tout pour te reposer. La démocratisation du voyage provoque l'effet inverse de celui espéré: les gens déposent leur cerveau à Orly et le reprennent en rentrant. En plus, ils sont souvent déçus par leurs voyages. Il faut reconnaître que les modes de transports ne sont pas des plus agréables. Or, le déplacement fait aussi partie du voyage.

Le voyage rapproche-t-il les peuples?

Titouan Lamazou
: Le tourisme de masse crée plus d'incompréhension entre les peuples qu'il ne les rapproche. Les populations locales tentent de grappiller quelques sous d'une manière pas toujours sympathique. Les touristes, eux, ne dépensent presque rien sur place et sont très peu considérés. Parfois, touristes et locaux en arrivent à se détester… C'est schématique comme propos mais c'est malheureusement la vérité. Aujourd'hui, le regard des touristes est négatif.

Cette hostilité est liée à un rapport basé sur l'argent. A mon avis, si l'on effectue un circuit organisé en Turquie aujourd'hui, on repart en n'aimant pas les turcs. Même si on peut trouver des bons côtés au voyage organisé, je pense que les touristes seraient beaucoup plus heureux s'ils se fabriquaient eux même leur voyage. S'ils sortaient des sentiers battus, ils rencontreraient vraiment les populations locales. Et ils seraient sûrement très surpris par la qualité de l'accueil!

Existe-t-il, d'après vous, quelques règles simples pour mieux voyager?


Titouan Lamazou
: L'idéal, c'est de se trouver un petit coin de paradis et d'y retourner régulièrement. Cela peut être par exemple un petit cabanon en Guadeloupe. On sympathise alors avec les habitants alentours. Tu finis par connaître tout le village. Dans tous les pays, je rencontre des gens passionnants. Les préoccupations majeures sont partout les mêmes. On a toujours besoin de rencontres et de partage. Je dessine des bouquins sur des gens, quelle que soit leur couleur et leur culture.

Le dessin exprime-t-il autre chose que l'écriture ou la photo ?

Titouan Lamazou
: Le principal atout lorsqu'on fait du dessin c'est la facilité à nouer le contact. Au bout d'un moment, car le dessin prend du temps, tu as établi un rapport de confiance. Tu peux alors sortir ton appareil photo ou ta caméra sans même que l'autre ne s'en soucie. On exprime quelque chose de différent avec la photo, le dessin, le film ou l'écriture. Certaines choses passent mieux par tel mode d'expression plutôt que par tel autre.

© oopartir 2010 - Propos recueillis par VM - Crédit photo: Clémence René-Bazin (portrait)


En savoir plus : www.titouanlamazou.com

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